jeudi, juillet 19, 2007

360 - Goulag Blues

J’ai eu 25 ans ferme. Pas de sursis ni de libération conditionnelle. Il faut dire que je n’y ai pas été de main morte. Un beau cadavre, que le policier a déclaré lors de mon procès. Après une déclaration comme ça, j’étais tout fier de dire que j’étais coupable, même si ça a sacrément déplu à mon avocat. La couronne jubilait. ‘Une victoire contre les œuvres du diable !’ titrait l’eGazette. ‘Une perte pour les anges du ciel’ a pleurniché ma maman dans son mouchoir brodé.

On m’a installé dans le Village. J’ai ma cellule à moi, toute équipée, au beau milieu du parc, près de la mer. La Mer des Humeurs, qu’ils disent. Méchante humeur : le jour, la température extérieure dépasse allégrement les 145 degrés. De quoi se faire cuire le coco dans le temps de le dire. Pas question de faire des séances de bronzage à moins d’aimer le cancer.

Je n’ai pas de calendrier et je ne compte pas les jours. D’après moi, ça fait au moins 6 mois que je suis ici. Je me laisse pousser la barbe, juste comme référence. À un millimètre aux trois jours, ça donne 6 centimètres en 6 mois. Mais je calcule à l’œil, le gouvernement ne fournit pas de règle. Pas de télé ni de radio non plus. Juste 4 murs avec une vue sur la mer. Sèche, comme moi.

Ici, il n’y a pas grand chose à faire. Quand bien même tu voudrais en finir, les portes et la fenêtre sont scellés, fortifiés comme dans un bunker. Des fois, pour me changer les idées, je regarde la Terre, toute dodue, enveloppée de ses peluches blanches. L’humanité me semble tellement futile vue d’ici que je me réjouis presque de mon calvaire.

Chaque mois, le ravitaillement m’arrive dans une caissette de deux mètres carrés qu’on attache à l’extrémité sud de ma cellule. Il y a là de l’eau, des petits comprimés de bouffe, des trucs sanitaires et des médicaments, si le besoin se fait sentir.

On peut aussi se suicider, si on le désire. Ce n’est pas dans le dépliant du parfait détenu, et surtout pas publicisé dans les médias, mais c’est une option qui ferait économiser des milliers de dollars à l’État, si le cœur nous en dit. Mais, je préfère mon blues lunaire à l’enfer sur Terre.

Ici, tu n’as que tes souvenirs et encore… qu’en faire? Au début, tu jongles. Après un moment, tu restes là, à attendre que le temps passe. Et il passe. Lentement. Très lentement.

Je ne vois pas les roulottes des voisins. Il y en a au moins un millier, à ce que je sache. Je suis le premier québécois à être monté dans la région. On ne m’a pas fait de fête. Juste un petit sourire de la part du gardien, quand il est venu ouvrir le sas.

Et depuis, je végète.

Ce matin, je me suis réveillé en sursaut. J’ai entendu un bruit sourd, comme si quelqu’un avait donné du genou contre la porte. J’ai regardé à la fenêtre mais, évidemment, je n’ai rien vu à cause de l’angle. J’ai cru que c’était le ravitaillement mais c’est beaucoup trop tôt. Ils sont venus il y a moins de deux semaines, je crois : il me reste encore 15 cachets de dîner Kwarf et 15 autres de Plop Twarz.

Je me suis douché dans l’étroit cubicule et j’ai chié mes ‘pélules’ digérées. J’ai déjeuné au café protéinique et je me suis gratté partout, juste au cas où que ça me piquerait. J’ai regardé la Terre et elle était encore là. J’ai essayé de voir s’il n’y avait pas une bombe qui venait sauter en quelque part, un petit flash d’espoir pour me convaincre de mon bien-être tout relatif. Rien.

Puis, il y a eu un autre bruit. Un coup sourd qui m’a coupé la respiration. Cette fois, je n’hallucinais pas. Et je vis, du coin de mon œil droit, un ombre se profiler sur la poussière grise. Il y avait quelqu’un qui tournait autour de la roulotte. Ce ne pouvait être qu’un des gardiens qui faisait sa tournée mensuelle, histoire de voir si j’étais encore en vie ou si je souffrais à m’en arracher les cheveux. Ils font ça, les gardiens : ils se penchent vers le hublot et me regardent en rigolant. On les voit à travers la vitre anti-reflets de leur habit lunaire. Je les ignore. Mais, cette fois-ci j’étais sacrément intrigué. Pourquoi donnait-il des coups sur la tôle? Pour me faire peur?

L’ombre se rapprocha de la fenêtre et je vis alors cette personne qui faisait tout ces bruits : c’était Simone, ma Simone, la seule et unique femme que j’aurai aimée et que j’ai aussi tant haïe. C’est elle, le beau cadavre du premier paragraphe, que j’ai tranchouillé avec une lame de rasoir, que j’ai toiletté doucement, pour qu’il n’y ait pas trop de sang. Ma brume, mon horizon matinal, ma gorge de feu, mon nid troublant.

Je n’ai pas eu peur ni même été surpris. À partir du moment où l’ai vue entrer dans le sac de la morgue, je ne me suis dit qu’une seule chose : tu rêves, Hubert, tu vas te réveiller et elle va être là, fidèle dans tous les sens du mot, à t’aimer comme une sucette à l’orge, à te regarder comme un sac à main assorti, à te sentir comme la peau d’une orange.

Elle était là, pleine de peau, pleine de sourire, prenant des poses, jouant avec ses formes pour essayer de devenir abstraite. Comme je l’ai aimée, dans la lumière brûlante au cœur de cette froideur de vie. J’ai embrassé la vitre comme elle y posait ses endroits où je me suis attardé jour et nuit. J’étais excité à en percer la tôle. Je touchais la vitre et m’imaginais le feutre de sa peau, les perles de frisson sur le creux de son dos. Pour tout vous dire, je l’aurais encore tuée tellement j’étais jaloux de sa liberté.

Quand elle m’a fait signe de la rejoindre, j’ai hésité. Que voulez-vous, je n’étais pas dans les sphères de l’éternité comme elle. Je n’avais pas encore perdu toute ma raison. Je restai là à toucher mon corps pour en extraire ma folie. Quelques gestes suffirent mais ne me donnèrent pas le répit auquel j’aspirais. Simone me regarda, ria, pointa mes mains souillées et se moqua de mon air de chien perdu. Elle fit des mots de sa bouche rose mais le son s’éparpilla dans l’espace.
Puis, lasse d’attendre, elle tenta encore de m’attirer vers son monde à elle mais je lui préférais ma roulotte. Elle m’envoya la main et s’éloigna, droit devant la fenêtre, vers l’horizon courbé. Je l’observai marcher ainsi jusqu’à ce que la lumière la reprenne. Je fus dix minutes à pleurer devant le vide, la bonne vieille Terre qui me faisait des simagrées. En quelque part, c’est moi que je venais de tuer. J’ai décidé d’arrêter de respirer en essayant de me repasser le film de ma vie, histoire de raccourcir l’attente. 50 secondes. 70 secondes. J’ai avalé une bolée d’air et j’ai essayé encore. Et j’ai ri à m’en fendre l’âme. Dire que j’haïssais les roulottes sur Terre, me voilà heureux dans la mienne sur la Lune.

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